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jeudi 27 août 2015

La Russie et l'Islam, partie 7 : les échappatoires de M. Météo

Par Le Saker



Traduit par Abdelnour, relu par jj et Diane pour Le Saker Francophone




Au cours de cette triste période où j’ai travaillé comme analyste [dans les services de renseignements US, Note du Saker Fr] pour gagner ma vie, j’ai eu un patron qui insistait toujours pour que je lui fournisse plusieurs scénarios possibles. Il voulait que je lui dise : « Il pourrait se passer X ou Y, mais si cela ne se produit pas alors la scène probable sera Z. » Dans son esprit, les analyses réalisées par notre service ne pourraient jamais être erronées si l’on tenait compte de toutes les possibilités, et ses supérieurs ne pourraient que le considérer compétent et méthodique. J’ai toujours détesté cette façon de procéder.

A mon avis, ceci n’est pas différent de ce que fait le présentateur météo lorsqu’il annonce « une journée chaude et généralement ensoleillée avec quelques nuages et des averses possibles dans l’après-midi accompagnées de quelques orages ici et là ». Évidemment, ceci correspond à la description d’à peu près chaque jour en Floride, mais ça n’est pas vraiment une réussite pour un analyste qui, j’en suis fermement convaincu, devrait être payé pour faire des prévisions en fonction de ses connaissances et de son expertise, et non pour établir une liste de toute les possibilités. Je suis toujours persuadé que la vraie différence entre un véritable expert et un touche-à-tout ignorant réside dans le fait que le premier possède les moyens de faire une prévision juste, et pourtant je m'apprête à faire exactement ce que font les touche-à-tout que je déteste pour cette raison même: je vais mentionner des possibilités d’événements, quelques tendances générales, sans faire aucune prévision. Et je le ferai pour exactement les mêmes raisons que les touche-à-tout: je me sens tout simplement incapable de prévoir avec certitude ce qui va se produire.

Je peux, cependant, tirer quelques conclusions simples des faits énoncés précédemment, la plus importante étant que la Russie est dans une situation extrêmement instable et constamment en changement.

Pour éclairer mon propos, j’ai rédigé deux versions descriptives de la Russie moderne, qui bien qu’apparaissant au premier abord contradictoires ou même mutuellement exclusives, contiennent toutes deux une bonne dose de vérités factuelles.

La Russie, première version
La Russie est : un pays engagé dans un processus de libération de la domination occidentale installée depuis le XVIIe siècle, ou février 1917, ou novembre 1917, ou 1991, selon la personne à qui vous posez la question. Entre 1991 et 2000, le système politique dans son ensemble a été remodelé en fonction des instructions US (tous les ministères clé à cette époque étaient engorgés de conseillers US dont le rôle était d’ordonner à leurs ministres subordonnés « Fais ça, signe ici ») . Quant à l’économie russe, elle était totalement sous le contrôle des oligarques juifs qui ne firent rien d’autre que piller le pays, tout en partageant les bénéfices avec leurs clients US. Dès son arrivée au pouvoir, Poutine entama un programme implacable de nettoyage des conseillers US et des oligarques juifs, ce qui bien sûr lui valut une haine éternelle de la part de l’Occident. Dans le cadre de ce procédé de libération nationale, Poutine accorda également le plein support de l’État aux principales religions traditionnelles/historiques de la Russie, ce qui en réalité signifie Christianisme orthodoxe et Islam (à peu près 40% et 7% de la population respectivement, bien qu’en réalité les véritables pratiquants ne représentent qu’une fraction de ces chiffres). Les religions pro-occidentales, catholicisme, protestantisme et judaïsme concernent à peine 0,5% de la population. En d’autres termes, on peut raisonnablement assumer qu’il n’y a pas plus de 5% de la population de Russie qui a des affinités avec le modèle culturel, économique, politique ou social de l’Occident, et que 95% des Russes veulent un autre cap pour leur pays.

L’exemple de la Tchétchénie a prouvé que les efforts combinés des forces musulmanes traditionnelles locales et des autorités fédérales sont à même de contrer même les pires formes d’extrémisme wahhabite. Le résultat est que les Russes et musulmans patriotes (non pas nationalistes) ont joint leurs forces contre un ennemi commun : les services secrets anglo-saxons (CIA/MI6 et Cie) et leurs représentants, les combattants et prédicateurs wahhabites.

La réélection de Vladimir Poutine à la présidence a déclenché un approfondissement et une accélération de la dynamique lancée sous ses premiers mandats présidentiels : après le tour des conseillers US et des oligarques juifs, c’est maintenant celui des partisans de l’intégration pro-atlantique de prendre des coups : le procédé initié par le limogeage du ministre de la Défense Serdiukov pourrait bien se poursuivre par le renvoi du Premier ministre Medvedev qui, sous bien des aspects, est le principal représentant de ces objectifs d’intégration pro-atlantique. Si cela devait se produire, et que les souverainistes eurasiatiques obtiennent un contrôle absolu sur la politique étrangère de la Russie, cela aura comme conséquence un changement majeur de la politique russe envers l’Iran, que les souverainistes eurasiatiques considèrent comme l’allié naturel de la Russie au Moyen Orient.

En même temps qu’une amélioration des relations avec l’Iran, les priorités de la politique étrangère russe seront, par ordre d’importance, l’établissement d’une Union eurasiatique, l’approfondissement de la collaboration politique avec les pays membres de l’OSC et du BRICS, en particulier la Chine et l’Inde. Bien que continuant à considérer l’Union européenne comme un partenaire économique important, la Russie maintiendra ses relations avec elle sur une base de relations économiques mutuellement profitables, réduisant les démonstrations de solidarité à un niveau symbolique. Au Moyen-Orient, la Russie continuera à soutenir fermement l’Iran et la Syrie par tous les moyens tout en se gardant d’intervenir militairement.

La Russie, deuxième version
Historiquement la Russie a toujours été un allié objectif de l’impérialisme occidental, et ceci n’est pas près de changer, du moins dans un futur prévisible. La raison principale ayant amené Poutine à virer les conseillers US et les oligarques juifs n’a rien à voir avec des convictions politiques profondes, mais tout à voir avec un de ces conflits de pouvoir si typiquement russes au sein du Kremlin. Les différentes factions présentes à l’intérieur du Kremlin sont occupées à feindre un conflit entre le groupe des pro-occidentaux et celui des nationalistes. Cette campagne de propagande, qui n’est que rhétorique, permet aux élites russes de rester au pouvoir. A partir du moment ou nous réalisons que les élites n’ont qu’un seul objectif – leur richesse personnelle et le pouvoir – nous pouvons facilement comprendre leur vision de l’Occident. L’Occident, pour ces élites, est avant tout une source de pouvoir et de richesse, un géant que l’on peut utiliser contre les rivaux, un suzerain qui vous permettra de toucher une partie du butin réalisé par l’exploitation sournoise de la Russie et de son peuple aussi longtemps que ses propres intérêts ne sont pas mis en danger. Ainsi, il est aussi évident que le Kremlin ne s’opposera jamais ouvertement à l’Occident, pas plus qu’il ne fera quoi que ce soit qui pourrait déclencher une réponse déterminée de sa part.

Prenez par exemple la Tchétchénie : ce conflit n’a pu être résolu que lorsque l’Occident, fort occupé par le 11 septembre et la Guerre contre la terreur (GWOT), a donné le feu vert aux forces russes pour massacrer le peuple tchétchène et installer leur propre seigneur de guerre vassal, Kadyrov. Les Russes ont fini par apprendre cette leçon fondamentale : aussi longtemps que les Occidentaux vous considèrent comme leur fils de pute, vous pouvez faire à peu près tout ce que vous voulez chez vous, mais si vous choisissez une course plus indépendante, vous finirez comme Noriega, Saddam, Kadhafi et Assad (ceci est une menace qui a été proférée ouvertement par des manifestants au cours de la dernière tentative de révolution colorée en Russie).

Certes, la plupart des oligarques juifs trop visibles ont été exilés et l’un d’entre eux, Khodorkovsky, est en prison [l’article date de 2013, NdT]. Mais qu’est-ce que cela cache en réalité ? Simplement que les oligarques, épuisés par leur décennie de pillage de la Russie, ont décidé de quitter leur hôte, suivant l’exemple de la tique rassasiée, pour aller digérer tranquillement leur orgie de sang dans un endroit plus sympathique : Israël, le Royaume-Uni, ou ailleurs en Europe. Chacun des oligarques ayant émigré a été remplacé par un autre, tout aussi prédateur et cynique (qu’il soit juif ou russe). Le système vampirisant la Russie est toujours bien en place, et il est très improbable qu’il change jamais.

Quant aux religions – elles n’ont pratiquement aucune importance en Russie. Chaque confession a une branche traditionaliste trop insignifiante pour faire la différence, alors que le reste du pays est peuplé de gens qui sont tout à fait tièdes, voire hostiles à toute idée de religion. La propagande orthodoxe arrive à trouver quelques fidèles uniquement parce qu’elle fournit un substitut au défunt marxisme-léninisme. Quant à la propagande wahhabite, la seule raison de sa popularité au sein de certaines ethnies nominalement musulmanes est qu’elle donne une empreinte de légitimité religieuse à la criminalité inhérente à certains groupes ethniques qui n’ont vécu que du crime et du vol depuis des siècles.

Et pour la politique étrangère russe, elle continuera dans un style mêlant objections théâtrales minables et collaboration générale avec les USA ou toute autre entité ayant les moyens de mettre la pression sur les oligarques russes. Le seul allié naturel de la Russie au Moyen-Orient est Israël, ne serait-ce que parce que les deux pays sont dirigés par des truands pragmatiques se faisant habilement passer pour des nationalistes. La mafia russe et la mafia juive, sur le terrain, ne sont qu’un seul et même phénomène et n’ont jamais cessé de collaborer, pour leur bénéfice mutuel. Religion ou ethnie ne signifient rien pour ces gens qui n’ont de loyauté qu’envers eux-mêmes.

Alors, quelle version préférez-vous? A votre avis, laquelle est la vraie ?

En ce qui me concerne, il est clair que c’est la première qui donne une vue générale juste de ce qui se produit. Je ne peux nier, cependant, que la seconde est étayée par pas mal de faits. En fait, la version deux est tout à fait celle avec laquelle les intégrationnistes pro-atlantique sont instinctivement à l’aise. Et aussi longtemps que ces gens resteront un segment puissant dans la société russe, la Russie n°2 restera une réalité, au moins partiellement.

Qu’est-ce que cela signifie pour les musulmans de Russie et ceux de l’étranger ?
Soyons pragmatiques: il n’y a vraiment pas grand-chose que les musulmans puissent faire pour influencer le processus en cours en Russie. Dans le pays, les musulmans n’ont pas d’autre option que de soutenir le régime en place, et ceci pour une seule raison : tout succès de l’Islam wahhabite deviendra un désastre total pour les musulmans qui y sont exposés. D’abord, parce que l’Islam wahhabite représente une menace directe pour les traditions et la culture des musulmans de Russie. En second lieu parce que, contrairement à ce qui s’est passé pendant la première guerre tchétchène, la Russie a aujourd’hui les moyens nécessaires pour écraser n’importe quel mouvement séparatiste ou extrémiste quel que soit son degré de développement, depuis un service de renseignement efficace jusqu’à la possibilité de déployer des unités bien armées et entraînées, ceci pour un éventail d’opérations allant de la contre-rébellion aux opérations combinées interarméees. Certes il y a encore des attaques terroristes wahhabites au Daguestan et dans le sud de la Russie, comme il y a encore des prédicateurs wahhabites impliqués dans le meurtre de musulmans traditionnels, surtout dans la région de Kazan mais dans d’autres endroits de Russie aussi. 

La raison pour laquelle cela se produit encore est que le niveau de destruction provoqué par ces événements se trouve en dessous du seuil de réaction des principaux ministères de puissance russes (sécurité d’État, défense) et ces affaires sont donc principalement traitées par le ministère de l’Intérieur (parfois avec l’aide des relais locaux de la sécurité d’État). Après tout, le meurtre de quelques policiers ou de quelques imams n’est pas une raison suffisante pour justifier l’intervention des forces spéciales ou celle de l’armée – ceci est du ressort des policiers ordinaires et des tribunaux, qui doivent apprendre à gérer ce type de problèmes. Mais si la situation tournait mal, les Fédéraux s’en chargeraient rapidement et sans états d’âme.

Hors de Russie, les musulmans sont tous plus ou moins acculés à fonctionner de la même manière. L’Iran, la Syrie et le Hezbollah ne peuvent que continuer à espérer que la Russie de Poutine se montrera un meilleur allié que celle de Medvedev, alors que la majorité des autres pays musulmans n’est pas très concernée par la Russie, ne serait-ce que parce que l’Oncle Sam contrôle à peu près tous les pays musulmans de la planète en dehors de l’Iran et de la Syrie, et c’est lui qui leur dit ce qu’ils doivent penser, dire et faire, bien entendu.

Le grand paradoxe
J’ai écrit cette série sur la Russie et l’Islam parce que je considère que ces deux entités sont au cœur de ce que je nommerai la Résistance globale contre l’impérialisme occidental. Et l’essentiel de ma discussion a pour objectif d’essayer de savoir si oui ou non la Russie arrivera à devenir un facteur stable dans cette résistance. Et ma conclusion à cet égard est très optimiste, car je crois que non seulement ce sera le cas, mais ma prévision est qu’elle sera l’acteur le plus puissant et le plus déterminant de ce mouvement (actuellement, quel est l’autre grand pays qui ne comporte que 5% d’éléments pro-occidentaux et qui possède une économie en plein essor ?). A l’inverse, il me semble que la plus grande partie de la Oumma (communauté, NdT) islamique est fermement contrôlée par la poigne de l’Occident, que ce soit ouvertement (Jordanie, Maroc, Indonésie…) ou par le biais de ses hommes de main wahhabites (Qatar, Libye, Pakistan…). Dans un tel contexte, les différences entre les Ikhwan muslimins (Frères musulmans, NdT) égyptiens, l'ASL syrienne, les truands albanais du Kosovo ou la constellation al-Qaida me semblent pratiquement inexistantes. Ils ont tous, je dis bien TOUS, été cooptés et sont contrôlés par les USA, tout au moins suffisamment pour pouvoir servir d’hommes de main. Ainsi, tels que les voient les Russes, ils sont tous des ennemis sinon actifs, du moins potentiels, au même titre que le régime de Saakachvili en Géorgie ou les nationalistes lettons ou estoniens, voire en pire.

Tout ce que je peux dire est que les chiites sont les seuls musulmans qui résistent encore à l’impérialisme occidental. Et lorsque j’observe le gouvernement irakien, je ne peux même pas considérer que tous les chiites résistent, car parmi ceux qui collaborent avec l’Occident on remarque des politiciens chiites. Enfin, encore une pensée au sujet de ce qui aurait pu se produire en Iran si la révolution Gucci de Rafsanjani & Cie avait réussi à renverser le gouvernement iranien : cela m’indique que même le monde chiite n’est pas aussi stable et cohérent que je pourrais le souhaiter.

Des personnes plutôt que des idées
Je vais maintenant faire autre chose qui n’est généralement pas une bonne idée. Je vais parler de personnalités plutôt que d’idées. J’ai la conviction que Vladimir Poutine, l’Ayatollah Khamenei et Hassan Nasrallah sont, ou du moins devraient-ils l’être, des alliés naturels. Par extension, j’affirme que ce que chacun d’entre eux incarne devrait les amener à se soutenir mutuellement et à joindre leurs efforts. La question est posée quant à savoir si ces dirigeants politiques pourront survivre assez longtemps pour unir leurs forces.

Mon analyse de la Russie et de l'Islam était probablement faussée depuis le début, car elle concernait avant tout deux concepts de haut niveau alors que les événements les plus importants ont lieu à un niveau plus profond, infra-national. Pourtant, si ma prévision quant à la Russie est correcte, la résistance infra-nationale contre l’Occident deviendra nationale; et si, à ce moment, la République Islamique est toujours au pouvoir en Iran – et je crois que ce sera le cas –, le potentiel d’une alliance russo-iranienne pourrait bien devenir énorme, surtout si elle est soutenue par d’autres pays (le Vénézuela à l’OPEC ou la Chine au sein des BRICS). Une telle alliance pourrait non seulement sauver la Syrie, mais aussi protéger le Liban – via le Hezbollah – contre une prise de contrôle étrangère.

Ce dernier segment conclut ma série sur la Russie et l’islam (fausse sortie, il existe un acte VIII, NdT). Je regrette de ne pas avoir pu faire une prévision confiante et optimiste. Mon seul espoir est d’avoir pu contribuer à effacer quelques clichés et quelques mythes, ce qui je l’avoue est un objectif bien plus modeste. Par exemple si j’ai pu montrer que la Russie et la France sont toutes deux aux prises avec des problèmes apparemment très similaires (immigration, extrémisme, crime, séparatisme, etc.), le contexte est très différent pour chacune, et il ne faut pas considérer la Russie comme une sorte de France de l’Est, en plus grand. Les musulmans, surtout, devraient éviter de transposer des réalités occidentales dans un contexte qui est fondamentalement non occidental.

La seule prévision que je fais avec certitude est que la Russie dans dix ans sera fondamentalement différente de la Russie d’aujourd’hui. Que ce soit pour le meilleur ou pour le pire n’est malheureusement pas quelque chose que je peux prévoir de façon certaine, bien que mon sentiment personnel intense est que ce sera pour le meilleur, et même pour le bien meilleur.

Comme toujours, l’avenir nous le dira.

Le Saker

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